Le millefeuille de la réglementation de la négociation distributeur-fournisseur vient s’enrichir d’une nouvelle couche avec la Loi du 31 mars 2023. (« Loi tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs »).
Son nom de baptême n’est pas officialisé par la profession. Qu’on l’appelle « Egalim 3 » ou « Descrozaille », retenons surtout que ce texte aborde la problématique du déséquilibre avec la distribution de façon de plus en plus globale (pénalités, promotion, postures…). Il s’adresse à l’ensemble des marchés, notamment hors alimentaires: DPH, textile, bricolage, parapharmacie …
Comme souvent, cette Loi s’inscrit dans des textes divers (Code de commerce, Loi ASAP, Code civil…). Il rend complexe une compilation pratique et opérationnelle pour les directions commerciales et compte-clefs. La capacité d’absorption de ces évolutions juridiques, de plus en plus fréquentes, par les fournisseurs devient un défi concurrentiel. Ce qui pénalise les PME, très souvent moins bien équipées juridiquement.
La date d’entrée en vigueur de ce texte (immédiate) s’inscrit dans l’après-négociation 2023. Elle doit déjà nous préparer pour les rendez-vous de 2024. Il va surtout, dès juin 2023, peser dans la renégociation tarifaire à laquelle les pouvoirs publics ont convié les protagonistes.
Effets sur la négociation distributeur-fournisseur
Cette Loi est multidimensionnelle et multidirectionnelle dans les sujets et les destinataires. Elle apporte forcément du bon et du moins bon au fournisseur dans le rapport de force.
Traçons à chaud quelques-uns de ses effets sur la négociation :
- Une des forces habituelles de l’achat tombe. Le fournisseur peut, en effet, à son tour, « déréférencer » son client brutalement, sans encourir de sanctions juridiques.… Gageons que cette opportunité ne sera pas la plus utilisée dans le contexte économique actuel. Certes, elle fragilise la posture de l’acheteur en attaquant son portefeuille : la sécurité de ses appro, notamment sur des OP prévues de longue date. Ce qui est un vrai levier novateur. Cet arrêt possible peut permettre aussi de contourner artificiellement la contrainte juridique du 1er mars. Acter une fin de collaboration…pour mieux repartir vers une reprise de la négociation très vite. Mais cette disposition crée également une strate supplémentaire dans la négociation. Elle laissera le fournisseur face à ses responsabilités qu’il prendra seul. Arrêter de lui-même le business et sauver sa rentabilité immédiate, tout en craignant « l’effet de rancune » que la distribution pourra faire peser sur son fournisseur un peu trop rebelle. Le « syndrome du prisonnier » risque de peser lourd dans les décisions, notamment pour les PME.
- Les enseignes qui ont toujours voulu garder la main dans les négociations. Elles se trouvent contraintes à un reporting encore plus large, technique et suspicieux auprès des pouvoirs publics, notamment sur les montants de pénalités. Cette traçabilité renforce une tendance positive. Elle oblige la distribution à ouvrir la « boite noire du box ». Elle oblige également de suivre ses postures, mettant ainsi en jeu sa réputation aux yeux de la société civile.
La Loi est loin d’être parfaite. Les distributeurs vont être tentés de faire valoir leur propre lecture de cette réforme. Il y aura matière sans doute à relever que certains fournisseurs ont des effets d’aubaine. Cela n’est effectivement pas « normal » dans la situation actuelle. Mais cette Loi, comme les autres, est celle des petits pas, du temps long souvent nécessaire pour faire changer les codes et concilier les contradictions d’une industrie française qui ne rechigne pas vraiment à avoir plus d’Etat dans ses rapports avec la GMS.
Le plan d’actions à préparer
La négociation distributeur-fournisseur ne se gagne pas dans un box. Elle se gagne dans sa capacité d’influencer l’autre sur son risque de non gain pour le pousser à adopter une négociation équilibrée.
Le fournisseur doit, pour obtenir, cela renforcer son influence notamment par les actions suivantes :
- De nouvelles notions apparaissent (« catégorie de produits » concernant les pénalités, « conditions économiques de marché », « bonne foi »… ). Le fournisseur va devoir les qualifier, notamment dans ses CGV, pour en donner le sens à l’égard de son métier propre pour les faire valoir dans ses échanges avec ses clients.
- Le droit d’arrêter de livrer en cas d’absence d’accord au 1er mars est sans doute bienvenu pour certaines entreprises, notamment de PME qui n’en peuvent plus. Cependant, son usage sera sans doute limité au regard des besoins de chiffres d’affaires dans la conjoncture actuelle. Ces entreprises auront plus à gagner à mieux identifier, chiffrer, énoncer et négocier les contreparties dont leur rentabilité a besoin, et cela pour moins subir la « liste de courses » des services vendus par le distributeur. En un mot : reprendre la main dans les contreparties…
- La manne des pénalités injustifiées va finir par se tarir pour le distributeur. Les enseignes vont devoir trouver d’autres sources de financement : data, régie média, externalisation encore plus poussée de leurs charges sur leurs fournisseurs… La distribution, sous cette pression, peut être tentée de rechercher une garantie du taux de 2 % par ses fournisseurs. Ne parlons pas d’Egalim 2 qui n’est toujours pas bien appliquée depuis sa parution sur ce thème de la partie pénalité précisément.
- Enfin, les enseignes vont chercher à « s’habiller » en grossistes (choses déjà faite par Eurelec, Intermarché…) pour profiter de l’échappatoire fourni par la Loi Descrozaille dans certains domaines dont les pénalités. Or, être grossiste, ce n’est pas simplement afficher un code NAF…
En 2024, la négociation distributeur-fournisseur va être riche de nouvelles expériences : rejoignez-nous pour en parler !